Préambule : vous pouvez aussi vous intéresser à notre tentative politique de rendre illégal, à l’avenir, l’état d’urgence sanitaire en utilisant les moyens constitutionnels en lisant et signant le projet, ou simplement le lisant sur notre site.
Le pouvoir qui vient appuyer sur vos épaules et vous courber le dos chaque matin depuis le mois de mars 2020 avait bien initialement une origine démocratique : le président de la République ainsi que sa majorité avaient été régulièrement élus dans la lointaine époque de mai 2017. Le président et le gouvernement avaient rapidement minimisé le rôle du Parlement en utilisant de manière extensive les ordonnances et les décrets. C’était fâcheux pour la démocratie mais cela restait cohérent avec l’esprit de la Ve République, bien accepté dans la population, qui consiste à élire un président disposant des moyens d’appliquer son programme dans un processus quasi monarchique (certains diront Jupitérien sans que cela change fondamentalement le concept de la centralité du pouvoir).
Aujourd’hui de nombreuses revendications surgissent : contre la fermeture des restaurants par les restaurateurs, contre la fermeture des « petits commerces » par les commerçants, contre la loi de sécurité globale par le monde des médias et des associations de protection des droits, contre la fermeture des remontées mécaniques par le monde politique et économique de la montagne, contre le port du masque par des foules mêlant des médecins sensés et des complotistes, contre la fermeture des universités par le monde universitaire, contre la fermeture des théâtres, cinéma et musées par l’ensemble du monde culturel et de ses amateurs.
Néanmoins l’objet de ces luttes n’est jamais que de protester contre un symptôme. Elles visent chacune un symptôme particulier, une manifestation particulière de l’excès de pouvoir et non l’origine de ce pouvoir. Or ce pouvoir n’est plus démocratique. Ce n’est pas la voix que vous (ou votre voisin) aviez mise dans l’urne qui permet aujourd’hui de prendre toutes ces mesures contestées. L’origine de ce nouveau pouvoir, qui permet de prendre ces mesures c’est l’état d’urgence sanitaire institué par la loi du 23 mars 2020. C’est cette loi qui est la maladie de la démocratie d’où viennent tous ces symptômes. Cette loi est une loi d’exception qui sort du cadre normal de fonctionnement de la démocratie. Sur ce site, et sur d’autres que vous pouvez identifier dans notre page de références, vous trouverez le détail de ce que cela recouvre, mais pour le dire d’un mot : l’état d’urgence sanitaire donne au gouvernement les pleins pouvoirs. Cette situation est inquiétante comme le fait remarquer la Commission Consultative Nationale des Droits de l’Homme dans son avis publié au Journal Officiel : « la CNCDH s’interroge sur la pertinence de la création d’un état d’urgence sanitaire au regard des textes préexistants ainsi que sur son impact sur le fonctionnement des institutions, la vie démocratique et le respect des libertés individuelles et collectives. […] Le dispositif établi par la loi du 23 mars 2020 conduit à une concentration entre les mains de l’Exécutif du pouvoir de restreindre les droits et libertés que la République n’a jamais connue en temps de paix.”. On ne peut pas être plus clair.
L’état d’urgence sanitaire confère des pouvoirs qu’aucun électeur n’a jamais pensé déléguer au président comme celui de vous confiner sans vote du Parlement, de vous dire quand porter un masque, de vous dire combien vous pouvez être à table, de vous dispenser de travail, de vous remettre au travail, de vous endetter sur les 50 prochaines années, de vous garder en détention provisoire, de dire qu’on va tester mais de ne pas tester, d’établir des indicateurs fallacieux, de publier jusqu’à 5 ordonnances par jour, de faire la loi en direct à la télévision. Tout est possible. L’état d’urgence sanitaire est un paradis de l’exécutif non seulement parce qu’il donne le pouvoir mais aussi parce qu’il le justifie au nom du Bien (la lutte contre le virus).
C’est ce simple texte de mars 2020 qui est la cause de tout et pourtant il sait se faire très discret. En tapant un peu partout avec son immense bâton, le pouvoir exécutif écrase tantôt les restaurants, tantôt la culture, tantôt les reporters amateurs des manifestations. Alors celui qui vient de se voir frapper sur la tête avec cet immense bâton tente de résister à l’arbitraire, puis, dans une tendance naturelle à l’humanité, il dit : « Pourquoi moi plutôt qu’un autre ?» Et le lendemain c’est un autre qui a son tour prend un coup et rugit de ce même cri : « Pourquoi moi plutôt qu’un autre ?» Mais personne ne crie assez fort pour dire : « C’est l’état d’urgence qui s’abat sur moi aujourd’hui et qui demain va s’abattre sur vous. ». On ne remarque pas l’état d’urgence sanitaire, il est comme le virus dormant chez l’asymptomatique. On remarque les symptômes qui nous tombent sur la tête et on combat avec quelques remèdes de grand-mère un mal plus profond. On ne remarque pas assez le poids de l’état d’urgence car nous sommes habitués à un autre état d’urgence depuis les attentats de 2015. Le dispositif de l’état d’urgence sanitaire est nouveau mais il est identique à celui utilisé contre le terrorisme, alors c’est une figure familière qui vient vers nous et qu’on laisse entrer. Et puis nous sommes fraternels : il faut bien lutter contre le virus. Et puis encore : que nous importe l’état d’urgence sanitaire ? Ce qui nous gêne ce sont les fermetures, les confinements, … que nous importe que ce soit telle ou telle loi qui le permette ? – Eh bien cela importe énormément car cette loi est une loi d’exception qui en devenant une loi habituelle produit des manifestations délétères sur la démocratie. Nous en approfondissons trois :
D’abord, le pourvoir se pense tout permis et n’hésite pas à saccager la vie des citoyens sans même y prendre garde compte tenu de l’absence de contre-pouvoirs. Et bien que l’urgence soit terminée (on peut suivre les nombres de tests, les traces du virus dans les eaux usées, les ARS et la sécurité sociale sont enfin organisées), le gouvernement continue à prendre des décisions applicables du jour au lendemain. Ce n’est donc pas parce qu’il le doit, mais parce qu’il le peut. Les derniers exemples en date sont ceux de la fermeture des salles de spectacle ou la décision d’autoriser les enfants à ne pas aller à l’école pour les deux derniers jours précédant les vacances. Le gouvernement se pense également tout permis et ne fait aucun cas des rapports de l’Assemblée Nationale et du Sénat sur la gestion de la crise du Covid-19. Le Sénat note : « La mise sur la touche des instances de la démocratie sanitaire a interpellé les membres de la commission d’enquête du Sénat. Les questions éthiques soulevées par de nombreuses décisions auraient mérité une association étroite des usagers et de la société civile, gage d’une meilleure adhésion. ». Mais cela ne fait pas sourciller le gouvernement qui n’a plus de compte à rendre à personne et poursuit à marcher en bottes.
Le deuxième effet délétère de l’état d’urgence sur la démocratie concerne le vote expéditif de lois sensibles. En temps normal, hors état d’urgence, la loi « sécurité globale » n’aurait jamais pu être votée avec un article de loi manifestement mal rédigé et inapplicable. En temps normal, hors état d’urgence, après cette loi de sécurité globale si contestée et fragile – arrivant de plus au moment de la diffusion d’un tabassage policier – on aurait eu une pause législative, des débats à n’en plus finir, des discussions autour d’un dîner, cela aurait été la loi de l’année. Mais non. On enchaîne directement avec une loi sur « les valeurs de la République». Quand on repense au débat sur l’identité nationale de 2009, qu’on sait que Marine Le Pen était au second tour de la présidentielle de 2017, qu’un professeur vient d’être assassiné, on voit bien que le sujet est brûlant. L’état d’urgence est donc un moment idéal pour le voter selon le gouvernement qui a l’occasion d’acheter des voix à droite pour 2022 sans générer trop de contreparties bruyantes dans la rue. Certes on manifeste mais le samedi pour la loi sécurité globale, le mardi pour la culture, le jeudi pour les commerçants et le vendredi pour les enfants masqués et dans cette cacophonie une voix s’élève et vient compter les morts, les cas, les co-morbides, les réanimés, les futurs vaccinés, et ce n’est plus une cacophonie c’est un chœur contrapuntique sophistiqué qui attend sa touche finale, et enfin là voilà: c’est noël, la course aux cadeaux, Amazon, le choix de la bûche, le secours populaire, les nouvelles mesures de couvre-feu, minuit sonne. Comme toute fugue réussie, une oreille attentive voit surgir des lignes isolées le survol d’une mélodie : le chant du politique satisfait.
Enfin, cet état d’urgence qui n’en finit pas a des effets délétères à long terme sur la démocratie. Il donne l’espoir à tout gouvernement futur de pouvoir en profiter à son tour en d’autres circonstances. En cas de crise, il dispose d’un arsenal juridique et d’une population docile pour simplifier son mandat, augmenter son action et éventuellement sa gloire. Et surtout il est déjà prévu d’intégrer des dispositions de cet état d’urgence définitivement dans la loi. Pour nous berner un instant, le texte sur l’état d’urgence sanitaire avait une date de péremption (avril 2021). Mais en politique comme dans la vie quotidienne, nous savons tous que le provisoire aspire à la permanence. L’INSCRIPTION de l’ETAT d’URGENCE SANITAIRE DANS LA LOI NORMALE EST DEJA PREVU POUR DEBUTER EN JANVIER 2021 : “[…] cette échéance permettra de consacrer les réflexions et le temps parlementaire à la mise en place d’un dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire plutôt qu’à des rendez‑vous intermédiaires de prorogation des mesures transitoires. Le Parlement sera saisi d’ici janvier 2021 d’un projet de loi à cet effet.” (extrait de l’exposé des motifs du projet de loi ayant repoussé la possibilité d’un état d’urgence jusqu’avril 2021)
Alors que vous manifestiez le samedi ou le jeudi, que vous ayez juste envie d’aborder le sujet covid-19 avec votre grand-mère, que vous soyez déjà fâché avec vos amis et aviez décidé de ne plus parler de ces sujets, prenez le sujet par le haut : réfléchissez à la pertinence de l’état d’urgence sanitaire. Les dictatures et les démocraties peuvent prendre toutes les deux de bonnes décisions. Mais l’histoire a prouvé que dans les dictatures cela est beaucoup plus rare, car moins le pouvoir est contraint plus il se délecte de lui-même. Et c’est ainsi que nous voyons le gouvernement exercer un pouvoir arbitraire avec l’âpreté et la maladresse d’un jeune dictateur, que nous voyons les symptômes de cette maladie de la démocratie qu’est l’état d’urgence sanitaire se répandre dans la société et semer la confusion, et c’est ainsi que nous décrétons ce soir l’état d’urgence démocratique.