Du politico-sanitaire

Une précaution oratoire se développe : il faut commencer son intervention orale ou écrite contre le passe sanitaire en disant au préalable « Je ne suis pas contre la vaccination » et en ajoutant éventuellement « Je suis vacciné moi-même ». S’il faut bien entendu concéder à son contradicteur quelques inflexions à sa pensée pour engager une conversation productive, cette confession initiale est tout-à-fait inappropriée, voire nuisible. Il faudrait engager en disant : « Je suis contre une certaine pratique et une certaine idéologie de la vaccination bien que je comprenne qu’une telle position soit devenue inaudible. C’est pourquoi nous n’en discuterons pas et que je bornerai mon intervention à présenter mon opposition au passe sanitaire.»

D’une part, il est important de rappeler que certaines idées sont devenues inaudibles dans l’hystérisation du débat. Ce n’est pas parce qu’on ne peut plus les évoquer dans une certaine sphère publique idéologisée, qu’on doit en supprimer l’existence bien réelle dans le monde des idées. D’autre part, il ne faut pas poser comme préliminaire l’hypothèse non vérifiée que vacciner tout le monde contre le covid avec les vaccins existants est un souverain bien. Car le corolaire de cette hypothèse est que la vaccination obligatoire est donc complètement justifiée, ce qui est en soi un débat. La vaccination obligatoire est un point de vue tout-à-fait défendable qui s’appuie sur des bénéfices collectifs supposés, et la contestation de la vaccination obligatoire est tout aussi défendable et s’appuie notamment sur la faiblesse de certains bénéfices individuels en regard des risques, et, la faiblesse des bénéfices collectifs attendus. Néanmoins, la question des bénéfices collectifs supposés a beaucoup de plombs dans l’aile.

Cinq membres du conseil scientifique Français écrivent dans un article du Lancet en février 2021 que l’immunité collective n’est très vraisemblablement pas atteignable et que le virus devient plus contagieux du fait des pressions immunitaires naturelles ou vaccinales :

« Cependant, l’importance de l’immunité collective présentée comme une solution à la pandémie pourrait être sur le point de changer avec l’émergence de l’évasion immunitaire […] Des études suggèrent que l’émergence et la propagation des variantes du SRAS-CoV-2 sont corrélées à l’absence de protection immunitaire robuste après une première exposition à des virus antérieurs (de type sauvage), voire à un vaccin. […] De plus, la dynamique de l’immunité collective naturelle ou vaccinale dans les régions où ces variants ont émergé pourrait avoir exercé une pression substantielle sur l’écosystème viral, facilitant l’émergence d’un variant à transmissibilité accrue. […] Si une évasion immunitaire importante se produit, les vaccins actuels sont susceptibles d’offrir encore certains avantages aux individus. Au niveau de la population, cependant, ils pourraient induire une sélection virale et une fuite, rendant de plus en plus éloignée la perspective d’obtenir une immunité collective. »

Il n’est donc pas besoin d’aller jusqu’en Israël, en Islande, à Gibraltar, aux Seychelles, au Royaume Uni pour constater un doute majeur sur la possibilité d’une immunité. En France déjà, cinq membres du conseil scientifique, dont le président de ce conseil, n’y croyaient plus eux-mêmes en février 2021. Ce sujet de la recherche d’une immunité favorable à la protection collective des personnes fragiles devrait donc être évacué de manière logique et rationnelle. Cela n’empêche pas d’être favorable à une vaccination large aux fins des éventuels bénéfices individuels, mais cela ne permet plus de poser cela comme une solution collective. Il ne reste alors plus en termes de bénéfice collectif que la réduction du risque de cas graves pour éviter un engorgement hospitalier (ou pour les plus matérialistes, un coût social). Et constatant que l’engorgement hospitalier est de toute façon récurrent en France depuis des décennies, on est obligé de reporter la question non pas sur la vaccination seule, mais sur les politiques de santé en termes de capacité des structures hospitalières et d’accès à des soins précoces du covid. Malheureusement ces sujets demeurent également inaudibles. Le dialogue de sourds se poursuit donc.

Si c’est pour engager un dialogue de sourds, autant ne pas céder à cette hypothèse que la vaccination indifférenciée contre le covid avec les vaccins existants est une chose nécessairement bonne.  On peut d’ailleurs souligner le bel effort pour ne pas tomber dans ce piège de la part de Barbara Stiegler et les co-signataires de la tribune “Sortons du Pass et de l’impasse sanitaire” (dans Libération et en versions pétition complète sur change.org). On peut aussi rappeler que ce dialogue de sourds est devenu partie-intégrante du fonctionnement institutionnel du fait de l’état d’urgence sanitaire toujours renouvelé qui veut réduire à néant tout réflexion politique et sanitaire qui lui est étrangère (voir et signer la tribune de professionnels et universitaires du droit et de la santé à ce propos).

Pour toutes ces raisons, Messieurs, Mesdames, qui avez accès aux journaux, aux télévisions, pour fustiger ce passe sanitaire, osez refuser des prémices erronées, vous n’en serez que plus diffusés dans ce monde où la polémique inutile est l’équivalent du sensationnalisme : le graal du buzz. Être opposé à une certaine politique vaccinale, ce n’est pas être antivax, sinon il faudra reconnaitre que la moitié du monde libre est antivax, ce qui serait extrêmement ridicule. Nous savons néanmoins que le ridicule n’a pas eu beaucoup de conséquences sur la pensée unique, ni sur le grotesque, ni sur l’ubuesque même. Alors, dites avec calme une réalité toute simple : « Je suis contre une certaine pratique et une certaine idéologie de la vaccination bien que je comprenne qu’une telle position soit devenue inaudible. ». Il est toujours plus facile de faire tomber un édifice quand il est construit sur du sable. Le grain de sable, c’est vous.