De l’altruisme

L’Etat laisse actuellement se jouer un drame moral entre ses citoyens vaccinés et non-vaccinés. Les vaccinés sont des altruistes. Les autres sont des individualistes, des complotistes, des inconscients, des abrutis ou tout autre nom d’oiseau. L’altruiste “se soucie du bien des autres de manière désintéressée” dit le Larousse. On n’a pas l’impression que les reproches adressés aux non-vaccinés se soucient particulièrement de leur bien ou qu’ils soient désintéressés. C’est de l’altruisme de jésuite, de l’altruisme de Tartuffe. En tout cas ces reproches se placent sur un plan moral.

La morale va au gré du vent ou plus exactement elle est fille de son temps. Et le temps actuel de la morale c’est le lynchage social. C’est la dénonciation à l’emporte-pièce de porcs, de metoo, d’inceste et autre pédophilie. Parmi des coupables idéaux il existe parfois des innocents comme cela s’est vu avec l’affaire d’Outreau. Parmi des victimes éplorées il existe parfois de fausses victimes d’attentats qui veulent percevoir des indemnités et des maris exemplaires qui viennent d’assassiner leur femme. L’âme humaine est ainsi faite qu’il est difficile de classer les bons et les méchants en-dehors des films de genre. Pourtant le film actuel a décidé qu’une vertu cardinale allait trier le bon grain de l’ivraie : l’altruisme vaccinal.

Il n’est pas nécessaire que vous vous occupiez des pauvres, que vous donniez votre sang, que vous organisiez des collectes alimentaires pour des étudiants, car la charité ultime et seule valorisable sur l’échelle sociale c’est de vous vacciner. Vous deviendrez alors immédiatement un homme de bien.

On voit déjà à chaque étage de la pyramide de la Morale les index de tous les calibres pointer plus ou moins hardiment vers le non-vacciné. Du ministre de la santé à votre ami médecin, de votre syndicat à votre collègue de travail, du philosophe-journaliste au journaliste-philosophe, de votre boulanger à votre voisin, voilà qu’ils montrent du doigt le nouveau délinquant moral. Ce n’est pas qu’il soit mauvais catholique, ou juif, ou musulman, mais il est non-vacciné. C’est l’inquisition : « Etes-vous vacciné ? Allez-vous le faire ? ». Et l’Etat n’y trouve rien à redire. Vraisemblablement l’Etat n’est pas mécontent d’une telle pression sociale aille dans le sens des manœuvres psychologiques qu’il a déjà engagées par ailleurs (voir notamment notre article).  Cet Etat dont le rôle est théoriquement de vous protéger a décidé de laisser la pression sociale s’occuper de votre statut vaccinal.

Depuis 2017, la HAS a la mission nouvelle de « Participer à l’élaboration de la politique de vaccination et émettre des recommandations vaccinales, y compris, dans des situations d’urgence ». La HAS a exprimé la politique sur les vaccins covid dans son communiqué de presse le 30 novembre 2020 : le vaccin est recommandé aux personnes âgées et aux soignants, puis aux personnes à risques, puis aux personnes fortement exposées. Pour les autres, ce n’est pas une recommandation. C’est juste une possibilité : « La HAS estime qu’à cette cinquième phase – sous réserve que les allocations de doses vaccinales auront été suffisantes pour vacciner chacune des populations prioritaires – la vaccination des personnes de plus de 18 ans et sans comorbidité pourrait alors être initiée. ».  Ainsi, il n’est pas illégal de ne pas vous vacciner, et, cela ne va pas même à l’encontre de la politique vaccinale de la Haute Autorité de Santé.

Si ce n’est ni illégal, ni contraire à une politique publique, l’Etat devrait garantir votre égalité devant les autres citoyens. Néanmoins de certificat vert en pass sanitaire, en passant par une déclaration ambigüe d’Olivier Véran sur le fait que « les personnes qui ne se feront pas vacciner seront défavorisées par rapport aux personnes qui seront vaccinées », l’Etat n’accorde pas la même considération à un citoyen vacciné ou non vacciné. Il légitime ainsi que des citoyens dénigrent d’autres citoyens sur leur statut vaccinal. Il vous lâche. Le véritable problème moral n’est pas que vous soyez face à vous-même sur votre intention de vous vacciner pour le bien d’autrui selon votre compréhension de la réduction du risque de transmission des vaccinés notoirement inconnu à l’heure actuelle. C’est que face à un risque de transmission notoirement inconnu et revendiqué par l’Etat lui-même comme inconnu (voir la position soutenue devant le Conseil d’Etat) l’Etat décide de ne pas protéger votre choix personnel légal et conforme aux politiques publiques. Il accepte que vous soyez considéré par vos concitoyens comme un sous-citoyen.

Le surgissement de ce critère moral est nouveau et propre au covid. Jamais personne ne vous a jugé moralement pour avoir embrassé votre grand-mère en hiver alors que vous auriez pu avoir la grippe et que vous n’êtes pas vacciné contre cette maladie. On empêche uniquement les enfants d’accéder aux maisons de retraites et aux hôpitaux, et, la morale ne vient jamais montrer le bout de son nez dans la grippe. La Morale arrive ici à point comme la cavalerie, parce que l’Etat est content de la trouver. L’Etat se fait amoral pour vous obliger à être moral. Il contourne la morale républicaine de l’égalité des citoyens pour vous astreindre à la morale vaccinale. La morale de la morale, c’est que c’est toujours la majorité qui définit la morale. Cette morale de la majorité n’est pas plus morale que la morale de la minorité. Elle n’est pas plus démocratique non plus car c’est une majorité sans vote et sans visage. C’est une foule dont le goût morbide est le même depuis la nuit des temps, qui tue les messagers, les boucs émissaires et s’en retourne fièrement constater que ses problèmes n’ont pas disparu mais qu’elle a assouvi ses passions noires.