Depuis que l’état d’urgence sanitaire est en place, l’exécutif n’a pas hésité à utiliser ses prérogatives et à s’attaquer à toutes les libertés : de circuler, d’entreprendre, de se distraire, de se réunir, et même d’être représenté démocratiquement puisque les élus de l’assemblée nationale sont privés des possibilités d’intervenir et de se prononcer sur les mesures sanitaires. Pourtant ce n’est rien de tout ça qui a réussi à mobiliser en masse. C’est uniquement la loi sur la sécurité globale qui met des manifestants en nombre dans les rues.
Filmer la police participe à liberté d’information mais la liberté d’informer ne se résume pas à filmer la police. Pourtant la presse et plus largement les médias se focalisent sur ce sujet en faisant semblant de ne pas voir la différence. Un peu de mauvaise foi n’est pas nuisible à la défense publique d’une idée, mais la presse devrait être beaucoup plus objective quand elle vient à traiter de son propre objet : l’information. A ce propos les médias fustigent ou accablent le gouvernement beaucoup plus qu’ils ne l’ont fait lors de la disparition des autres libertés (sauf L’Humanité qui a été assez critique lors de la prorogation de l’état d’urgence). Ainsi, pour obtenir l’engagement de la presse pour la liberté, il aura fallu qu’elle se sente menacée directement. On a la presse qu’on mérite.
Dans cette loi de sécurité globale (lisible ici), hormis la question de la possibilité de filmer la police et de diffuser les images, il n’y a rien de très contrariant . L’affaire aurait donc pu rester seulement un sujet de discussions à l’assemblée nationale, dans les médias, après le café… Elle a pris néanmoins une autre dimension avec les vidéos du croche-pied et celle du tabassage. Alors la population est entrée en scène et manifeste. La question se pose de savoir si la loi sur la sécurité globale est la goutte qui fait déborder le vase ou si c’est le vase tout entier. Or les interviews des manifestants, les slogans scandés ou écrits sur les panneaux, se focalisent sur la violence de la police. Il n’y a aucun lien entre cette réaction contre les violences policières et une possible contestation sur la privation des autres libertés. Décidément, la liberté n’est pas une valeur très prisée en France.
Il est dommage que les médias n’aient pas imaginé dès le départ que lorsque les libertés disparaissent progressivement, il vient toujours le moment où la liberté d’informer se trouve contrainte à son tour. Les dictatures ont toujours procédé ainsi : l’idéologie se met en place, l’idéologie échoue, l’idéologie doit se maintenir par la propagande. La propagande ici est de dire qu’il faut renforcer la police pour assurer la sécurité de la population, quand il s’agit d’assurer la sécurité de la police. La sécurité de la population est marginalement le rôle de la police -toute personne qui a déjà franchi la porte d’un commissariat pour un problème le concernant a pu s’en rendre compte. Le rôle de la police est la sécurité de l’État. Un État qui est impopulaire doit avoir une police puissante.
Il ne faut défendre la liberté d’informer et s’opposer à la violence policière, mais il est vain de se battre contre la violence de la police sans s’attaquer à ce qui en fait la légitimité. En effet, la police n’est qu’un moyen, c’est l’exercice du pouvoir exécutif qui est la cause. Plus l’exécutif est autoritaire, rigide et incohérent, plus sa police doit être violente pour garantir la sécurité de l’État. Légitimement violente au départ et puis illégitimement par débordement. Et se battre contre la violence illégitime de la police n’est pas vain mais est très réducteur, car on s’occupe du débordement sans s’occuper de la source.
Au niveau international, c’est également la violence policière qui génère un sursaut. Quand la France basculait dans un état d’urgence sanitaire sans respect de la loi ni de la constitution, cela n’émouvait personne au niveau international. Cette situation d’excès d’exécutif étant généralisée, elle est et était considérée comme normale par une majorité de gouvernements du monde entier. En ce moment par contre, la violence policière française inquiète à l’international. Cela veut donc dire que si l’exécutif français parvenait à maintenir une police utilisant la violence avec sobriété, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La presse ne dirait rien, la population ne dirait rien, les gouvernements étrangers ne diraient rien. Supprimons donc l’article 24, punissons quelques dizaines de policiers qui font usage d’une violence disproportionnée ou gratuite, nous aurons alors une police irréprochable, et donc, une dictature irréprochable dont nous serons tous contents.