Cet article s’intéresse à cette idée qui empuantit l’air depuis des mois : la jeunesse irresponsable se rend responsable de la mort de ses aînés. Soit en leur prenant une place dans les hôpitaux, soit en leur transmettant la maladie (comme le présente admirablement le spot télévisé qui commence au lycée et se termine à la morgue).
La première tentative de culpabilisation est donc celle de la sollicitation du système de santé. Santé Publique France met à disposition des bases de données : pour chaque date depuis le 18.03 et par tranche d’âge, on a accès au nombre de personnes en service de réanimation. On ne connaît pas les entrées et les sorties journalières, ni la capacité totale en lits mais on peut faire une comparaison pertinente sur la sollicitation du système de santé en raisonnant en nombre de jours de réanimation. Le biais est alors de compter à l’identique 5 personnes en réanimation pendant 1 jour et 1 personne pendant 5 jours. Néanmoins, compte tenu de l’ordre de grandeur des écarts entre classe d’âge, cela ne change pas la conclusion que la jeunesse ne sollicite pas du tout le système de santé. En élargissant même jusqu’au moins de 40 ans, on a 21 368 jours passés en réanimation sur un total de 447 905 jours pour l’ensemble de la population, soit 5 % de l’occupation. Pour les 40-59 ans s’agit de 25 % de l’occupation et 70% pour les plus de 60 ans.
La seconde tentative de culpabilisation est celle de la transmission de la maladie. Il faut donc s’intéresser aux tests. Car pour transmettre une maladie, encore faut-il en être porteur. Les données sont également fournies par classe d’âge par santé publique France depuis le 13 mai. On voit que quelle que soit la classe d’âge il y a environ 10 % de cas positifs (sauf les enfants 5 %). Il n’y a donc pas a priori une classe d’âge qui prendrait plus de risques qu’une autre. Ensuite, on voit que 50 % des tests sont réalisés par les moins de 40 ans, 27 % par les 40-60 ans, et donc près de 80 % des tests sont réalisés par des personnes de moins de 60 ans qui n’ont en fait que peu de chance de développer une forme grave de la maladie. Pour l’expliquer on peut toujours imaginer que ces tests sont faits pour des raisons professionnelles ou que la propagande de la peur a bien fonctionné. Mais on va surtout être obligé d’admettre qu’il y a une responsabilité parfaitement comprise pour protéger les plus âgés.
Les jeunes font donc de mauvais coupables. C’est dommage, une dictature a toujours besoin de montrer du doigt ce qui est le Mal. La jeunesse est d’habitude un bon coupable car elle est infiniment pardonnable : la jeunesse passe et s’assagit. Surtout si on l’éduque bien et qu’on lui fait porter dès 6 ans un masque pour lui montrer combien la vie serait affreuse et dangereuse sans le gouvernement du Bien qui prend soin de ses citoyens.
Les jeunes font de mauvais coupables parce qu’ils ne le sont pas. Qu’ils n’ont rien à voir avec ces vraies menaces qui s’abattent sur les conditions d’enseignement et d’examens, les lieux de vie et de rencontre, les voyages scolaires et de loisirs, les musées et les librairies, les stages et les alternances, les chances pour l’avenir proches dans une telle récession. Peut-être, leur seule culpabilité sera de n’avoir pas fait sentir leur présence dans le centre névralgique de la révolte. Ou bien cela reste encore à venir.
« Ni sociale ni même seulement sociétale, la révolte révélait une expérience anthropologique universelle et irrépressible qui menace le sommeil des civilisations. […] Interminable est l’avenir d’une telle révolte » (Julia Kristeva, l’avenir d’une révolte, l’infini n°143)
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