Les organisateurs de la rave du nouvel an de Lieuron ont publié une tribune dans Libération ce 5 janvier.
Ils font état de leur conscience politique. Le mieux est de lire par vous-même :
« Nous avons donc répondu à l’appel de celles et ceux qui ne se satisfont pas d’une existence rythmée uniquement par le travail, la consommation et les écrans, seul·e·s chez eux le soir. Notre geste est politique, nous avons offert gratuitement une soupape de décompression. Se retrouver un instant, ensemble, en vie. »
Ils font aussi état de leur conscience sanitaire : « Nous avons tous et toutes dans nos proches une personne à risque et nous tenons aussi à les protéger. Mais il faut entendre qu’il existe aussi des vies déséquilibrées par cet état de morosité ambiante et d’isolement constant. »
Il ne s’agit donc pas de contester le problème sanitaire, il s’agit de contester politiquement le choix d’une certaine politique sanitaire. La tribune se poursuit ainsi avec la description des moyens mis en œuvre sur le plan sanitaire avant, pendant et après cette rave. Cette explication détaillée vise vraisemblablement à déjouer les attaques de leurs principaux détracteurs : les nouveaux bien-pensants sanitaires. Ce sera évidemment peine perdue. Car malgré toutes les précautions et actions décrites dans la tribune, nous savons tous qu’une fête est un fête. Donc bien-pensants ou non, les personnes raisonnables devront accepter qu’elle n’a pu avoir lieu sans une certaine légèreté sanitaire. Mais c’est là que vont se différencier les camps.
Ceux qui reconnaitront que ces organisateurs ont effectivement agit dans une perspective politique pourront aussi accepter en corolaire la faiblesse vraisemblable sur le plan sanitaire : on ne peut pas contester un excès en se soumettant à cet excès. Les autres continueront de réduire cette action à un attentat sanitaire. Ils éluderont la possibilité d’une préméditation politique pour dénoncer un alibi a posteriori. Ils refuseront la possibilité d’un coup d’éclat politique, et donc éminemment collectif, pour dénoncer un individualisme forcené.
En effet, les bien-pensants vont écarter la possibilité politique comme nous l’a déjà expliqué Roland Barthes dans Mythologies au siècle précédent. Dans Mythologies, Roland Barthes critique le mode de pensée bourgeois (on pourrait actualiser aujourd’hui en remplaçant “bourgeois” par “bien-pensant”) et en particulier avec « l’Usager de la grève » il rappelle que la révolte contre l’ordre établi n’est pas qu’une accumulation de révoltés qui fuient leur responsabilité sociale pour mettre en avant leur condition individuelle, ou pire des individus qui se laissent entraîner sans être même concernés, que la révolte est aussi le fruit d’une conscience politique. Il le formule ainsi :
« […] de même que tout d’un coup le citoyen se trouve réduit au pur concept d’usager, de même les jeune Français mobilisables se réveillent un matin évaporés, sublimés dans une pure essence militaire que l’on feindra vertueusement de prendre pour le départ naturel de la logique universelle : le statut militaire devient ainsi l’origine inconditionnelle d’une causalité nouvelle, au-delà de laquelle il sera désormais monstrueux de vouloir remonter : contester ce statut ne peut donc être en aucun cas l’effet d’une causalité générale et préalable (conscience politique du citoyen), mais seulement le produit d’accidents postérieurs au départ de la nouvelle série causale : du point de vue bourgeois, refuser pour un soldat de partir ne peut être que le fait de meneurs ou de coups de boisson, comme s’il n’existait pas d’autres très bonnes raisons à ce geste : croyance dont la stupidité le dispute à la mauvaise foi, puisqu’il est évident que la contestation d’un statut ne peut expressément trouver racine et aliment que dans une conscience qui prend ses distances par rapport à ce statut. »
Pour les bien-pensants, toutes les personnes liées à cette rave vont être mises dans le même sac à vomi : les organisateurs politiques de la rave, les participants souhaitant effectivement lutter pour la vie (pour une vie humaine réelle et pas un fantôme de vie) seront mélangés sans distinction avec quelques teufeurs venus simplement prendre un peu de drogue pour le réveillon ou danser pour danser (ce qui n’est pas critiquable mais n’est pas un acte politique). Pourtant la Cause de cet événement est politique. Il est donc tout entier politique. Il faut savoir renouveler l’acte politique. Il n’en sera pas plus clair pour ceux qui ne veulent pas le voir mais il soulève la poussière sur la pensée.
Après la fin de cette crise, quand enfin le monde aura retrouvé ses esprits, que l’on verra avec plus de clarté où étaient les assassins et les fous, il sera temps de demander la légion d’honneur pour les organisateurs de la rave de Lieuron afin que tous les bien-pensants non encore repentis s’étouffent dans leur masque.