Le président de la République va venir ce mardi 24 novembre apporter la révélation de sa parole, à laquelle est suspendu l’avenir de la Nation. On peut imaginer qu’il s’agit simplement d’un exercice médiatique qui reproduit ceux que nous avons déjà vus depuis la prise de pouvoir auprès de la pyramide du Louvre : une parfaite maîtrise des codes de la communication associée à un ego de la taille de Jupiter. Mais l’exercice présidentiel s’est transformé depuis l’avènement de l’état d’urgence sanitaire. Le président ne s’adresse pas uniquement à ceux qui ont envie de l’entendre. Nous sommes obligés d’entendre sa parole soit directement soit indirectement, de l’attendre, puisque notre vie est asservie à la décision qu’il tient dans sa main. À quel autre moment de la démocratie française du XXIe la vie quotidienne de l’ensemble des Français a-t-elle été suspendue à la décision d’un seul homme ? Jamais. Il y a eu des orientations ou des arbitrages qui ont retenu une attention particulière mais vous n’aviez pas besoin de savoir ce qu’avait dit le président pour savoir ce que vous alliez faire demain. Quand un peuple remet sa vie pratique entre les mains d’un seul homme qui lit et fait l’avenir, ce n’est plus une démocratie, c’est une religion.
La France aime la religion. Même quand elle avait désacralisé les églises catholiques et renié le calendrier des saints, elle aimait encore la religion, une autre religion. Quand elle avait défroqué les prêtres, elle aimait encore la religion, une autre religion encore. Les rôles de prophètes sont très prisés dans ces religions de substitutions mais celui de Messie est meilleur. Il est plus difficile à obtenir car le messie est à la fois celui qui réalise la parole et qui l’annonce, il est donc une forme d’incarnation autoréalisatrice de la parole. Il faut concentrer suffisamment de pouvoirs sur sa propre personne pour assurer un tel service messianique. C’est pour cela qu’on trouve cette approche messianique dans les régimes totalitaires (voir à ce propos Patrice Gourdin).
La fabrication d’un messie est un mécanisme simple : il faut annoncer un avenir possible, faire dépendre sa réalisation d’un seul homme et enfin créer la confusion sur le fait que celui qui détient l’avenir immédiat détient également les fins dernières. Ce dernier point est le plus délicat : on n’est pas facilement disposé à penser que la maîtrise d’un point d’actualité entraîne une capacité à disposer du Destin ou du Salut. C’est ce qui fait la différence entre l’homme providentiel et le messie. Or ici, le président a un boulevard tout tracé : la confusion entre la question actuelle de la santé et celle éternelle du Salut se fait en toute simplicité car c’est une confusion classique. Les détenteurs de pouvoirs spirituels et prophétiques ont toujours d’abord guéri les malades. Celui qui ne guérit pas les corps ne sauve pas les âmes. Et notre bon messie, au sommet de la pyramide des scientifiques et des hôpitaux, est celui qui a mis la santé au-dessus de tout pour nous guérir et nous sauver.
Le pouvoir du messie politique nouveau est terrifiant parce qu’il est lénifiant. Il rationalise l’attente passée et à venir, soumettant celui qui croit à une attente toujours renouvelée et donc désarmante. Le lecteur pense qu’il est inconcevable qu’un esprit baisse les armes parce qu’on lui a donné envie d’attendre, puis d’attendre encore et de toujours croire qu’il était bon d’attendre. Alors rappelons- nous la phase préparatoire de ce phénomène messianique : le 10 décembre 2018, 23 millions de personnes ont suivi l’allocution du chef de l’État qui donnait sa réponse aux gilets jaunes. L’argent mis sur la table était certainement une part nécessaire de l’endormissement de la révolte mais le coup de force aura été de créer l’attente de ce moment pour créer une nouvelle attente (le fameux débat). Et d’attentes en attentes, force est de constater qu’il n’y a plus de gilets jaunes sous leur forme révolutionnaire.
Alors ce mardi 24 novembre, le messie viendra lier le passé et l’avenir immédiat, il viendra sauver le sapin de noël, les petits commerçants ou n’importe quoi de cet acabit. Il viendra rendre l’avenir de moyen terme sombre comme un orage d’hiver et l’avenir plus lointain radieux comme un ciel de mai (élections présidentielles de 2022). Et notre bon messie viendra donc nous guérir du mal qu’il a lui-même causé. En un sens il sera donc bien un messie à la fois sanitaire et salutaire. Nous voilà donc convaincus du Bien d’un tel messianisme. On a le messie qu’on mérite. Ce mardi 24 novembre (la date n’a pas pu être choisie au hasard) sera comme un prélude à noël : « Venez divin messie, nous rendre espoir et nous sauver ». Vive la théocratie, vive la France.
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