De la troisième vague

Deux confinements de retard. Déclaration de la responsable de la sécurité sanitaire ARS PACA : si une troisième vague arrive on sera prêt.

Préambule : vous pouvez aussi vous intéresser à notre tentative politique de rendre illégal, à l’avenir, l’état d’urgence sanitaire en utilisant les moyens constitutionnels en suivant ce lien

Madame Christine Ortmans, responsable du département de veille et sécurité sanitaire à l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur raconte dans Libération du 19 novembre 2020 les progrès réalisés pour assurer le fameux trio tester, tracer, isoler. L’article se conclut sur cette phrase qui mérite toute notre attention : « Si une troisième vague arrive, on sera prêts. » Cette phrase étant au futur, cela signifie qu’aujourd’hui nous ne sommes toujours pas prêts. Nous serons prêts quand cette deuxième vague sera terminée, un troisième confinement et une énième reconduction de l’état d’urgence sanitaire et que commencera la troisième vague (mars-avril 2021).

Beaucoup d’articles de presse lors du premier confinement ont fait référence à « l’étrange défaite » de Marc Bloch (disponible gratuitement ici), c’est-à-dire à l’impréparation incompréhensible de la France avant la Seconde Guerre mondiale et en son début. Cette explication était en effet intéressante en premier lieu. L’hypothèse de l’impréparation n’écorche pas trop le gouvernement : elle est déjà en elle-même une excuse. En effet, se préparer au surgissement de l’inattendu n’est évidemment pas dans la capacité normale de l’administration et quelque gouvernement qui aurait été en place, l’administration n’en serait pas moins restée identique à elle-même : jeter des masques, ne pas savoir se coordonner avec l’hôpital privé et les médecins de ville, ne pas savoir mobiliser les savoirs et les capacités productives, etc. Même si l’inattendu était prévisible au vu de la situation italienne, on peut toujours dire que la France avait eu plus de temps pour se préparer entre 1933 et 1939, qu’entre janvier et mars 2020. D’ailleurs, quand on rencontre un soutien de la politique gouvernementale, c’est bien la première chose qu’il vous dit : « mais tu n’aurais pas mieux fait à leur place ». Gardez-vous toujours de répondre à un argument idiot car souvent il est professé par un idiot et cela deviendrait une conversation désagréable. Si vous étiez par exemple plombier et que votre brasure était manquée, que vous étiez comptable et enregistriez deux fois une facture, que vous étiez professeur et que votre cours n’était pas compris par les étudiants, vous pourriez toujours dire à vos clients ou étudiants : « Vous n’auriez pas fait mieux », ce qui sera sans doute vrai pour qui n’est ni plombier, ni comptable, ni professeur, sans que pour autant cela anoblisse votre incompétence dans votre domaine d’exercice. Les auditions qui ont lieu actuellement devant des députés dans le cadre de la Mission d’information Covid-19 (tous les comptes rendus sont disponibles ici) vont dans ce sens : nous avons fait du mieux que nous avons pu avec ce que avions et savions. Circulez jusqu’au prochain confinement s’il vous plaît.

Nous proposons une autre hypothèse que celle de l’impréparation et l’inertie structurelle de l’administration. Notre hypothèse est que les moyens ont effacé les fins. Le pouvoir est devenu l’objet du pouvoir.

Beaucoup ont été leurrés au départ, et les députés qui ont voté l’état d’urgence sanitaire sans doute aussi, en pensant que l’exécutif cherchait ses clés sous le réverbère. Si vous avez perdu vos clés et que vous revenez sur les lieux dans le soir tombant, vous êtes dans l’impuissance de les trouver là où il est probable que vous les ayez perdues, et, bien qu’elles n’aient aucune chance de se trouver dans la lumière, vous allez quand même commencer par chercher dans la lumière, au pied du réverbère. L’État et l’administration qui sont par nature conservateurs, hiérarchiques et bureaucratiques vont donc utiliser des moyens conservateurs, hiérarchiques et bureaucratiques. Ces moyens sont leurs lumières (leurs Lumières aussi). Beaucoup ont été leurrés car ces moyens ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais ils n’ont pas été utilisés à de nouvelles fins (avancer dans l’obscur) et n’ont été mis en œuvre que pour eux-mêmes. La bureaucratie au service de la bureaucratie, le pouvoir au service du pouvoir.

Beaucoup n’ont pas été clairvoyants car ce dévoiement des moyens pour eux-mêmes était déjà en lisible dans la loi du 23 mars 2020 qui est entièrement écrite dans cette approche. Nous vous invitons tout simplement à lire cette loi initiale pour constater qu’il est question de sujets sécuritaires, économiques, sociaux et qu’aucune disposition n’est concrètement et directement une mesure sanitaire. Il s’agit d’une loi qui traite uniquement de la délégation ou de la création de pouvoirs. Autrement dit il s’agit d’une loi dont les modalités d’exercice du pouvoir sont le seul objet.

Même les mesures qui se rapprochent de la dimension sanitaire sont écrasées par la question du pouvoir, prenons par exemple la création d’un comité scientifique :

« Art. L. 3131-19.-En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du Président de la République. Ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret.»

Ce n’est plus un comité scientifique, c’est un comité présidentiel et gouvernemental. Tous sont nommés par décret. La question de savoir ce qu’est une personne « qualifiée » n’est pas abordée. Pourtant les prérogatives de ce comité scientifiques sont vastes et non pas seulement scientifiques : « Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme ». Un comité qui peut donner son avis sur les mesures propres à « mettre un terme » à la crise est un comité hautement politique. C’est ce que pointait Didier Raoult lors de son audition par la mission d’information de l’assemblée : « Les gens qui en faisaient partie [du comité scientifique] se connaissaient, ils travaillaient ensemble au sein du groupe REACTing de l’INSERM depuis des années. Je pense que c’est le Président de la République qui a souhaité que j’en fasse partie mais je suis arrivé parmi des gens qui étaient habitués à travailler ensemble, qui avaient déterminé à l’avance ce qu’il fallait faire. » et puis «Mais le conseil scientifique ne me semblait pas adéquat : il ne comprenait pas un seul des dix spécialistes français du coronavirus – vous pouvez trouver leurs noms sur le site expertscape.com». Ce n’est donc pas simplement une question d’impréparation et de bureaucratie, c’est bien une question de pouvoir qui vise le grandissement du pouvoir, une cour monarchique et son monarque qui voient son heure enfin venue et son entrée dans la gloire.

Cette hypothèse du dévoiement des moyens vers la consécration (la sacralisation) de l’autorité (et du dictateur) au détriment du sanitaire est confirmée par le bilan financier de la crise. Le ministre des comptes publics, M. Olivier Dussopt indique que l’État a engagé 66 milliards d’euros pour le premier confinement, 20 milliards pour le suivant, et perdu 100 milliards de recettes fiscales, soit un coût de 186 milliards pour la crise sanitaire. Nous n’avons malheureusement pas pu retrouver ce chiffre de 86 milliards et ne pourrons donc discuter que des chiffres publiés et détaillés dans le Rapport économique, social et financier 2021 qui est le support du vote de la loi de finance et est donc tout ce qu’il y a de plus officiel sur les dépenses 2020. Un tableau nous y présente les dépenses supplémentaires engagées pour la gestion de la crise sanitaire : 140 milliards d’euros. Sur ces 140 milliards d’euros il y a seulement 10.5 milliards qui concernent des dépenses d’ordre sanitaire (masques, respirateurs, tests, indemnités journalières et primes pour les personnels soignants) et le reste concerne des aides économiques. On a donc 7.5% de dépenses pour la santé et 92.5% pour l’économie. On peut éventuellement ajouter une partie des dépenses des collectivités locales comprises entre 3 et 7 milliards d’euros selon le rapport Castaner sur l’impact de la crise sur les collectivités locales, dont on ne sait pas si elles étaient toutes incluses en 2020 ou 2021. Pour vérifier ce diagnostic nous avons également étudié le rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de sécurité sociale d’octobre 2020. On retrouve les mêmes ordres de grandeur : environ 5 milliards pour santé public France, 5 milliards pour les hôpitaux et établissements médico-sociaux, 4 milliards en lien avec la médecine/pharmacie de ville et les arrêts de travail et enfin 1.5 milliards de tests en laboratoire de ville. Vous commencez à vous lasser de ces chiffres, alors allons à l’essentiel : 150 milliards d’euros d’argent public ont été utilisés pour la crise sanitaire, dont seulement 15 milliards (10%) en dépenses relatives à la santé, et au sein de ces 10% seulement 1% pour réaliser des tests en laboratoire de ville. S’il s’agit d’une crise sanitaire fondée sur le TESTER, tracer, isoler, cela n’a aucune logique.

[Il y a par ailleurs un problème non résolu, si vous avez des informations nous sommes intéressés : la prise en charge par la sécurité sociale d’un test par un laboratoire privé a été fixée à 54 euros, ce qui veut dire que le coût de 1.5 milliards d’euros annoncé par la Cour des comptes correspond à 28 millions de tests, ce qui est impossible. Depuis le 13 mai (date de début de la base des données de tests), l’ensemble des tests réalisés à la fois en hôpital et en laboratoire est de l’ordre de 18 millions de tests.]

Toujours est-il que l’argent étant devenu une ressource illimitée – du moins dans la tête du président –, on ne peut pas penser que le problème était financier. Il pouvait être technique et organisationnel (l’étrange défaite de Marc Bloch) mais nous soutenons que c’est par une volonté et non par une simple inertie que le dictatorial a pris la place du sanitaire. Car l’inertie n’est possible que lorsqu’elle ne suscite pas de tensions internes. Si vous continuez à chercher vos clés sous le réverbère, vos amis qui sont en train d’attendre dans le froid que vous les retrouviez vont finir par vous dire que vous cherchez au mauvais endroit. Vos ennemis aussi, mais les tensions générées par les ennemis peuvent être négligées par définition. Et il y avait bien de la tension dans le camp des amis : les ARS avaient déjà signifié leur impuissance et cela jusqu’à la directrice générale de Santé Publique France, comme le dit William DAB, ancien directeur général de la santé, auditionné par la mission COVID de l’assemblée :

« Six semaines après le début du confinement, nous avions encore plusieurs milliers de patients hospitalisés chaque jour. Six semaines après le confinement, on se demandait encore où ces patients avaient été contaminés. J’en ai parlé à la directrice générale de Santé publique France. Elle m’a dit : « nous n’avons pas les moyens. Il y a trop de malades. Nous ne pouvons pas investiguer les sources de contagion ».

En effet, six semaines après le confinement, compte tenu du temps de contagiosité, par principe, il n’aurait pas dû y avoir de nouveaux malades, et certainement pas des milliers. Si vous êtes responsables au sein d’une ARS, vous vous rendez compte que le gouvernement cherche ses clés au mauvais endroit à votre détriment, vous l’en informez. Le gouvernement vous écoute et donne mission à l’assurance maladie de vous aider au traçage et recrute des « brigades ». On pense donc que l’on s’engage enfin vers le sanitaire. Mais le mot de brigade en dit long sur la logique autoritaire qui continue de présider. La tension étant résolue dans votre camp, le gouvernement est dans la possibilité de revenir à sa préoccupation principale : le 11 mai est votée la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet. Pour quoi faire puisque le dispositif sanitaire plébiscité par tous, validé par l’OMS est institué ? Il n’y a aucune autre réponse possible que celle de vouloir aller encore plus loin dans l’accaparement du pouvoir : une louche de pouvoirs s’ajoute ainsi dans le code général de la santé dont le Titre Ier bis est un joyau de prose liberticide.

Six mois plus tard, où en est-on sur le plan dictatorial ? Nous en sommes à la quatrième période état d’urgence, imposé avec une force maladive au législatif, continuant sa marche parfaitement rodée : sa stratégie de communication présidentielle messianique, la morgue sautillante du ministre de la santé, la légitimité du contrôle policier jusque dans nos âmes.

Et sur le plan sanitaire, où en est-on ? « Si une troisième vague arrive, on sera prêts.» La messe est dite.