Tandis que M.Castex instaure sous les feux médiatiques un couvre-feu généralisé à 18 heures, dans l’ombre continue à se tramer le saccage de la démocratie : les députés tentent d’entraver devant la Commission des lois le prolongement d’un énième état d’urgence, toujours plus long, toujours sans contrôle suffisant du Parlement. Le projet de loi n°3733 propose de manière lapidaire de repousser la fin de l’état d’urgence au 1er juin (actuellement au 16 février), de repousser la date de sortie au 30 septembre (c’est-à-dire de permettre au gouvernement de prendre les mêmes mesures que durant l’état d’urgence même s’il n’est plus en état d’urgence) et de repousser la possibilité de déclarer un état d’urgence sanitaire jusque décembre 2021 (à la place d’avril 2021 actuellement).
A la commission des lois une majorité de députés s’opposent et font part de leur colère et de leur exaspération. Vous pouvez voir quelques unes de leurs interventions sur notre facebook. Cette résistance est salutaire mais le gouvernement disposant d’une majorité au Parlement, rien ne pourra empêcher cette prorogation. Rien ? Peut-être pas.
M.Castex instaure un couvre-feu en le justifiant ainsi : « le Conseil scientifique a du reste confirmé l’utilité du couvre-feu dans la lutte contre la pandémie. Nous appliquerons donc cette mesure dans tout le pays ». Comme M.Castex se protège derrière un avis du conseil scientifique qui n’était pas publié au moment de son discours, il ne risquait pas d’être trop contredit. Mais le lendemain il a été possible de consulter cet avis du conseil scientifique pour en apprendre davantage : « il est probable que le couvre-feu a contribué à ce ralentissement mais il reste difficile d’estimer la contribution relative du couvre-feu et celle d’autres évènements (le couvre-feu a eu lieu pendant les vacances) ».
M.Castex ne connait donc apparemment pas le sens du mot « probable » mais sans doute le conseil scientifique non plus. Nous avions appris à l’université qu’en science, le mot probable ne peut que s’assortir d’un chiffre et d’une marge d’erreur : il est probable à 25% qu’il pleuve demain avec une marge d’erreur de 2%, voilà un avis scientifique digne de ce nom. Dans l’avis du conseil scientifique, il faut donc lire très vite le mot « scientifique » et plutôt se concentrer sur le mot « avis ». Voilà, ce n’est qu’un avis. Et vous, qu’en pensez-vous, pleuvra-t-il demain ? Ah, à mon avis sans doute pas mais la météo a dit qu’il pleuvrait.
Nous entrons ainsi dans une chaîne de justification dont le principal fondement est la supposition. Pourquoi pas. Néanmoins la supposition qui conduit à prendre des décisions privatives de libertés pour d’autres ne porte pas le simple nom de “supposition”, elle se nomme l’Arbitraire.
On nous a appris aussi gentiment à l’école que la révolution française était une révolte contre l’arbitraire royal, symbolisé par la prise de la Bastille. La compréhension de l’horrible Arbitraire par la population aurait donc été le sel de la révolte qui pourrait ressurgir aujourd’hui. Malheureusement la réalité est plus prosaïque. En 1789 le Comité permanent des électeurs de l’Hôtel de Ville veut s’armer et tente de s’emparer, d’abord par la négociation, d’armes gardées aux Invalides. Ils prennent les armes de force mais doivent encore obtenir la poudre et les balles qui sont à la Bastille. De nouvelles négociations, stériles, mènent à la prise de la Bastille qui oblige le gouverneur De Launay à capituler assez rapidement. C’est donc beaucoup moins contre le fameux arbitraire royal de l’embastillement sans jugement que pour obtenir les moyens de combattre que la Bastille tombe le 14 juillet. L’arbitraire est un problème intellectuel à l’arrière plan du monde des révoltes, un symbole et donc un impensé.
Intellectuellement beaucoup de Français sont chagrinés par la stupidité de cette mesure, mais ils sont davantage contrits par ses effets. Les activités périscolaires des enfants, les embouteillages, la chute du chiffre d’affaires. C’est bien normal. Néanmoins, si on avait laissé un couvre-feu à 20 heures, ces mêmes Français n’auraient sans doute pas été affectés : ils s’y sont déjà habitués. C’est ce que nous indique Ouest France :
« 75 % des personnes interrogées se disent favorables à un nouveau confinement “dans les régions les plus touchées par l’épidémie” et 65 % à un couvre-feu à partir de 18 h dans les zones les plus touchées. Les avis sont plus nuancés quant à des mesures au niveau national : le reconfinement arrive en tête avec 52 % d’opinions favorables devant le couvre-feu national à 18 h (47 % pour). La formule hybride couvre-feu à 18 h et confinement le week-end est celle qui séduit le moins avec 44 % d’avis favorables. À noter qu’une écrasante majorité des sondés assurent qu’ils respecteront les décisions prises : 92 % se plieraient à un reconfinement général et 94 % à un couvre-feu national à 18 h. [Étude Elabe réalisée pour BFMTV sur un échantillon de 1 003 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Sondage réalisé sur Internet les 12 et 13 janvier 2021] »
Si l’on sondait les Français pour savoir si l’on peut envoyer sans jugement à la Bastille ces horribles personnes qui sciemment poursuivront à ne respecter aucune des mesures arbitraires du gouvernement, la réponse serait certainement majoritairement positive. Personne ne s’intéresserait dans cette phrase au mot « arbitraire ». Que la mesure soit arbitraire ou non n’est pas posée à sa juste valeur dans l’équation du problème. La légitimité des mesures est totalement impensée et chacun n’en fait plus qu’un avis. Pourtant personne ne devrait accepter que l’Etat puisse engager une mesure arbitraire privative de liberté, quand bien même cette mesure se conformerait à son avis.
En 1789 toujours, l’arbitraire royal s’abattait plus volontiers sur certains que sur d’autres : « 22 % des détenus sont incarcérés pour des infractions aux règlements de librairie, 20 % pour des motifs politiques et 13 % pour des délits religieux » (futura-sciences.com). Aujourd’hui l’arbitraire s’abat sur tous mais seulement une poignée sont au front contre cet arbitraire qu’ils dénoncent et voient comme le véritable Infâme. C’est le combat qui se déroule au Parlement et au Sénat sans qu’aucun écho n’en soit fait.
Dominique Costagliola, biostatisticienne à l’Inserm, impliquée dans la modélisation mathématique qui nous gouverne, nous dit sans sourciller sur France Inter ce mercredi 13 janvier que l’effet d’un couvre-feu à 18 heures n’est pas connu mais qu’on suppose que ça marchera comme celui de 20 heures, et que selon elle le mieux serait un confinement de quatre semaines car moins on circule moins le virus circule. Quelle trouvaille ! En menottant les Français à leur radiateur ou en lançant une bombe nucléaire, le virus circulerait également beaucoup moins. Tout ce qui a vocation à réduire la liberté de se rencontrer est considéré comme Bon en soi compte tenu que cela limitera la circulation du virus dans les cercles familiaux et amicaux. Il est dommage qu’on ait encore oublié que seules les personnes malades sont contagieuses, que toute mesure prise à l’encontre des autres est purement arbitraire, comme de punir quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas commis.
Alors voilà que l’état d’urgence sanitaire va être prorogé en procédure accélérée. Tandis que M.Castex braque les feux des projecteurs sur des mesures idiotes dont on peut discuter au café du commerce puisque tout cela n’est qu’une question d’avis, que Le Monde, Libération, la Croix, le Figaro ne jugent pas utiles de rapporter la lutte qui a eu lieu à la Commission des lois (seule L’Humanité s’est inquiétée), prenons pour nous seuls l’immense poids que l’arbitraire peut prendre sur nos vies.
Récitons d’abord avec Voltaire, la fin de son poème sur son propre embastillement :
« Vos beaux avis m’ont fait claquemurer :
Que quelque jour le bon Dieu vous le rende! »
Faisons savoir autour de nous ce que veut dire cet état d’urgence sanitaire qui traîne son ombre jusque sur le visage des enfants, dans le sang répandu des étudiants défenestrés, dans la gorge des endeuillés qui n’ont pas pu veiller un mort.
Puis, résistons par tout moyen à cette infamie. On célèbre chaque 14 juillet en grande pompe ce moment où l’on trimbala sur une pique la tête du gouverneur De Launay qui gardait la Bastille. On avait pourtant pris déjà la poudre et les balles. On n’avait pourtant trouvé que sept prisonniers embastillés. C’était donc une décision arbitraire de la foule amassée sur le chemin de l’hôtel de ville que de massacrer ce De Launay à coups de pieds et de baillonettes, une décision arbitraire d’un simple cuisinier de l’égorger avec son couteau et de placer la tête sur une pique. L’Arbitraire avait changé de camp.