De l’égalité

Auto-censure : quand on a eu la COVID, peut-on dire que c'était comme une petite grippe ?

Vous n’avez jamais entendu personne dire qu’il était atteint d’un petit cancer ou d’un petit SIDA. Même certains cancers qu’on sait traiter avec le moins de séquelles possibles, celui qui en réchappe ne dit pas que c’était juste un petit cancer. Il sait toujours qu’il a eu une grande chance. Pour la grippe par contre, vous avez tous les modèles. La petite grippe est généralement la grippe que vous attrapez le vendredi soir et elle est terminée le lundi matin. Vous n’avez même pas eu le temps de voir un médecin, et peut-être même vous n’y avez pas pensé. La grippe tout court, sans adjectif, c’est cette maladie que vous attrapez rarement mais quand vous l’avez, vous savez que ce n’est pas juste un rhume, pas un gros rhume. Elle est bien là. Elle peut même alors aller jusqu’à s’appeler une grosse grippe quand au bout de quelques jours vous êtes encore en nage. Vous maudissez le médecin qui vous a dit que c’était un virus et qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. Vous auriez au moins voulu un placebo au nom exotique à la place de quelques médicaments en vente libre. Mais c’est comme ça, ce n’est qu’une grosse grippe.

Avant 2019 quand on vous parlait de petite ou de grosse grippe, vous n’aviez pas les larmes aux yeux en pensant à la dangerosité de cette maladie pour les plus âgées. Vous ne saviez même pas si c’était une légende ou une réalité que des personnes meurent de la grippe au XXIe siècle. Les choses ont changé. En 2020 la grippe est devenue tellement dangereuse que tout le monde a voulu se faire vacciner au point de générer une pénurie de vaccins. Ou plutôt, la perception de la dangerosité de la grippe a évolué. Sans doute c’est un bien : il n’est pas nécessaire de tomber malade quand on peut l’éviter. Sans doute c’est un mal : il n’est pas nécessaire d’avoir peur quand on peut l’éviter.

Pour la COVID, nous ne citerons pas les noms, mais certaines personnes ont osé dire que c’était une grippette, une petite grippe, une grosse grippe, enfin un genre de maladie qu’on avait le droit d’ignorer et de dédaigner quand on n’avait pas 60 ans. Ces personnes ont été obligées de se raviser devant la vindicte. Une maladie qui fait 1 200 000 morts dans le monde mérite des égards particuliers. Il faut donc dire que la COVID est une maladie grave. On n’a pas le droit de dire qu’elle est très grave pour certains et bénigne pour d’autres. Non, on n’en a pas le droit. Le président de la République l’a dit : « Contracter ce virus n’est jamais anodin, même à 20 ans ». Il est donc heureux que nous ayons ce grand guide au sommet de la Nation car sans lui nous aurions sans doute mésinterprété les statistiques. Au 8 novembre les moins de 20 ans ont représenté 0.4% des jours de réanimation et 0.02% des décès à l’hôpital (7 personnes). Est-ce que la mort de 7 personnes est anodine, certainement pas. Par contre, est-ce que contracter ce virus à 20 ans est anodin ? Sur le plan statistique, c’est absolument certain. Mais avez-vous le droit de le dire sans être la cible de critiques ? Non. Pour deux raisons.

Premièrement, ce n’est pas anodin car vous le savez, une fois contaminé vous êtes un assassin qui s’ignore. Votre petite grippe est donc grave pour d’autres ce qui empêche ainsi de la qualifier dans la forme qu’elle présente pour vous, de penser pour vous-mêmes. Vous devez entièrement penser dans le collectif, votre individualité et votre esprit critique, les centralités de votre sentiment et de votre corps n’ont aucune importance.

Deuxièmement, toute la politique de confinement tient sur ce principe de gravité généralisée. Si on commence par dire qu’on empêche les jeunes de vivre normalement alors qu’ils ne risquent rien, qu’on saccage leur vie sociale, leurs études, qu’on sacrifie leurs espoirs, leurs amitiés et leurs amours, pour un mal qui est pour eux-mêmes tout à fait anodin, ce serait très ennuyeux. Ce serait non pas une petite erreur mais une grosse abomination. Alors on enfonce le clou. M.Véran indique le 6 novembre que « 30% des patients en réanimation ont moins de 60 ans ». M.Véran ne dit pas un mensonge, mais il ne dit pas non plus la vérité. Les moins de 60 ans ont bien représenté 30% des jours de réanimation depuis mars, mais en actuellement seulement 20% des patients ont moins de 60 ans (données disponibles sur santé publique France). Il y a donc 80% de personnes de plus de 60 ans en réanimation. Et les plus de 60 ans représente environ 30% de la population. Nous sommes presque sur une loi de Pareto : 30% des causes génèrent 80% des effets. C’est généralement le signal qu’il faut s’occuper avec attention de ces 30% bien identifiés qui génèrent 80% des problèmes plutôt que des 70% qui restent et ne génèrent que 20% des problèmes. Mais ce n’est pas l’avis du gouvernement.

Le journal La Croix rapporte dans un article du 06.11 : « Une étude menée sur plus de 4 000 patients dans des hôpitaux européens, lors de la première vague de la pandémie, 41 % des patients en « réa » présentaient un surpoids, 48 % souffraient d’hypertension artérielle et 28 % de diabète. Pour le conseil scientifique néanmoins, le confinement des plus fragiles, s’il devait être appliqué, ne pourrait être que volontaire « pour des raisons à la fois éthiques, sociales et sans doute juridiques (rupture d’égalité) ».

On pourrait donc affiner la dangerosité pour nos 30% de la population en ajoutant ces critères scientifiques et peut-être déterminer à peu près 20% de personnes vulnérables pour donner encore une fois raison à la loi de Pareto. Mais le conseil scientifique ne veut pas aller par là, le président non plus comme il l’avait indiqué dans son allocution (« Une deuxième voie serait de confiner les seules personnes à risque. Cette voie n’est pas non plus au moment où je vous parle utilisable. », ni le ministre de la santé. Les éléments de discours sont bien travaillés : ce serait insuffisant, inefficace, inégalitaire… Pour autant c’est ce qui est en train de se faire en ce moment même sur d’autres critères que la vulnérabilité : confiner certains et pas d’autres. Les étudiants mais pas les lycéens. Les librairies mais pas les pressings. Bref l’égalité invoquée et la rationalité générale sont mises à mal. C’est le propre des éléments de discours : éviter de dire ce que l’on pense vraiment. La seule chose qui soit effectivement constatable, c’est l’indéfectible volonté du gouvernement de garder le contrôle sur la population.

Il est intéressant de voir que le terme médian de la devise française pointe son nez dans cette affaire : égalité. La notion d’égalité est fascinante. Elle est à la source de nombreuses méprises. Par exemple, si l’on donne une ration égale de nourriture à 10 personnes, on respecte l’égalité, mais est-ce juste pour autant ? Est-ce que ce n’est pas par exemple l’activité physique et la constitution de ces personnes qui sont des critères justes de distribution ? Cela se défend. C’est la vision qu’avaient retenue les Saints Simoniens avec le fameux « à chacun selon ses besoins ». C’est donc une égalité en besoin et non une égalité en ration. L’action négative des Saint Simoniens plane encore dans les délires scientifiques actuels mais sur ce point de la compréhension de l’équité du modèle social on peut leur reconnaître une certaine qualité de discernement. L’égalité n’est qu’un principe : la méthode d’application est déterminante. Il serait par exemple tout à fait égalitaire que chacun jouisse de la liberté maximum à laquelle il peut prétendre en fonction du risque qu’il court. À égalité de risque, égalité de liberté. Pour certain elle serait grande, pour d’autres elle serait faible, et pour autant elle serait égale au maximum du risque porté individuellement d’occuper une place à l’hôpital ou de mourir. Cela aurait éventuellement du sens si le but effectif de la domination en place était de concilier l’égalité avec les limitations de la saturation et du nombre de morts. Mais on peut tout à fait admettre que ceci n’est pas l’objectif poursuivi car les résultats ne sont guère probants pour l’heure. Alors, en attendant qu’on puisse nous démontrer que les objectifs du gouvernement ne visent pas en premier lieu la perpétuation du pouvoir, reprenons les faits tels qu’ils se présentent : pour un nombre important de personnes la COVID est une maladie grave, mais pour beaucoup plus de personnes, pour une immense majorité, pour toute une jeunesse : ceci n’est qu’une petite grippe.