D’une autopsie

Autopsie de morts oubliés : le covid a-t-il aussi tué les chiffres ?

Après le Canard Enchainé (23 décembre 2020), un article dans Nice Matin (16 janvier 2021) avait mis en évidence que l’on n’avait pas le même décompte des hospitalisations et réanimations dans les bases de Santé Publique France qu’en se déplaçant pour compter directement à l’hôpital. Cette première information par voie de presse a suscité immédiatement la réaction désormais bien connue : l’opposition hystérique entre ceux qui la croient et ceux qui la réfutent.

Ceux qui y ont cru sont ceux qui déplorent la disparition des libertés sur la base de critères opaques et que la bonne pensée appellent systématiquement complotistes pour éviter de faire la distinction entre les idiots utiles et les gens normaux qui savent que les gouvernements peuvent parfois mentir (sang contaminé, Tchernobyl, …) ou accueillir en leur sein des membres dont la probité a été mise à mal (Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur, Jacques Chirac, Alain Juppé, Jérôme Cahusac, …). Nous proposons d’appeler cette catégorie de gens normaux qui doutent raisonnablement, non pas des complotistes mais des Descartiens, en souvenir de ce philosophe qui avait placé le doute comme une instance favorable de la Raison.

Pour leur barrer la route, il y a ceux qui ont réfuté l’article de Nice Matin, qui sont ceux qui veulent, le cœur sur la main et la liberté cachée d’un mouchoir, sauver le monde entier en nous assurant que l’heure est apocalyptique.

Le journal Libération fait partie de cette seconde catégorie et a néanmoins dédié un Checknews à cette question. On y a appris que les chiffres n’étaient pas faux mais comptabilisaient des choses assez peu claires. Libération, pour sauver sa ligne éditoriale, en concluait que si les chiffres étaient nébuleux, en tout cas ils comptabilisaient à la baisse. Un membre de l’ARS PACA disait plus honnêtement dans cet article que les chiffres en valeur absolue ne correspondaient sans doute pas à une réalité tangible mais que ce n’était pas très important car c’étaient uniquement les tendances des chiffres qui étaient significatives pour prendre des décisions. Il faut comprendre par tendance non pas simplement un montant absolu de hausse ou baisse, mais évolution de la hausse ou de la baisse, comme la pente d’une montagne à gravir est toujours montante mais se raidit progressivement  et qu’on a donc une hausse de la croissance de la pente. Plus précisément l’article dit ceci : «On regarde surtout l’évolution des personnes en réa. Et au-delà des volumes du nombre de personnes hospitalisées, ce qui compte, c’est le temps de doublement [le temps mis pour que les chiffres passent du simple au double, ndlr], et la vitesse à laquelle la courbe augmente. Ce qu’on veut, c’est qu’elle ne monte pas en cloche, de façon exponentielle. Il faut connaître le volume, car cela bloque à partir d’un certain seuil, mais il faut surtout être vigilant sur la rapidité de la courbe.»

Dès le lendemain, nous aurions donc pu nous attendre à ce que Santé Publique France et les ministres affiliés, c’est-à-dire tout le gouvernement puisqu’il n’y a plus en France qu’un ministère de la santé au détriment de tous les autres, ne fassent plus aucune déclaration sur des données absolues qui ne veulent rien dire mais nous parle de doublement et de tendance. Ceci n’est pas arrivé. Peut-être que le gouvernement pour notre Bien a voulu nous éviter de nous rendre compte de notre ignorance sur ce qu’est une tendance et en particulier l’évolution d’une tendance. Cela fait effectivement appel à une notion tellement difficile que l’on ne l’enseigne qu’en seconde générale et qui s’appelle la dérivée d’une fonction. On avait réussi à nous gaver de R0, de différence entre létalité et mortalité, d’ARN messager mais nous étions encore un peu faibles en statistiques pour comprendre qu’une augmentation peut se ralentir ou s’accélérer. L’Express a ensuite remis une couche sur la question, sans doute parce que les lecteurs de droite ont le droit d’être aussi mal informés que les lecteurs de gauche.

Ensuite on n’en a plus parlé jusqu’à ce que la saturation des services de réanimation arrive au premier plan de l’actualité. Quelques personnalités du sombre monde des Descartiens sont donc venues faire l’écho du problème dans les seuls espaces ouverts pour eux, c’est-à-dire des émissions de polémique (TPMP) ou dans des espaces considérées comme à la frange du complotisme (Sud Radio, Cnews, …). Ils disaient en toute bonne foi ce que Libération disait entre les lignes. Ils ont donc été broyés par le sophisme en cours : si tu n’es pas avec les soignants, tu es contre le monde entier.

Une institution rigoureuse est venue mettre un peu d’ordre dans le désordre. La Cour des Comptes dans son rapport annuel a analysé le rapport entre les indicateurs et leurs conséquences et écrit : « les nombreuses incertitudes ou imprécisions qui entourent le système de collecte et remontées d‘informations servant de fondement aux décisions stratégiques tant sur la comptabilisation des malades que sur celle des capacités disponibles ouvrent un chantier prioritaire“. La cour des comptes fait aussi remarquer que le nombre de cas avait l’air décorrélé des problèmes réels et servait pourtant de base de décision : « si cette différence entre régions apparaît nettement sur des critères tels que la morbidité par habitant ou les taux de contamination, elle est beaucoup moins évidente sur d’autres indicateurs, tel que le nombre de cas covid incluant les suspicions non confirmées […]. Or, ce sont bien ces dernières données de suspicions (et donc de risques) qui ont emporté des conséquences sur l’organisation et l’activité des établissements. » Comme la cour des comptes n’intéresse personne, cette intervention est restée inaperçue (sauf dans La Tribune).

Donc l’argument que les chiffres (et la manière dont ils sont utilisés) avait un sens unique et limpide commençait à battre de l’aile. Pour éviter une contamination de complotisme généralisée dans la population si prompte à refuser de bien-penser, l’AP-HP a publié une tribune dans le JDD pour obtenir par la peur ce qu’elle ne parvenait pas à obtenir par la raison. Pour se faire, elle a délaissé l’argument numéraire pur pour le transformer en émotion avec l’argument de tri des malades. Nous allions devoir choisir entre sauver les milliers de jeunes de 18 ans irresponsables qui meurent comme des mouches du Covid (qui meurent en tout cas dans la bouche des médecins télévisuels mais jamais dans les statistiques de Santé Publique France) et les adorables vieilles personnes emplies de sagesse qui avait été contaminées par la faute inexcusable des premiers (ce qui n’a jamais été démontré non plus). Quelques individus encore audibles dans l’espace médiatique comme Gérard Maudrux, qui avait eu droit à un article dans Capital ce qui classe un homme dans notre monde actuel, ont tenté de formuler quelques réserves en démontrant que ni les urgences, ni les réanimations n’étaient en plus mauvais état que toutes les années précédentes, sur la base des chiffres de Santé Publique France. Mais que peut un individu contre une tribune de l’AP-HP ? Il est comme un fantassin au milieu des chars.

Nous avons alors eu un contrepoint inattendu par des médecins hors AP-HP : Pierre Squara, Patrick Pelloux ou Christophe Prudhomme. Ceux-ci ont révélé à ceux qui n’étaient pas encore Descartiens que la médecine était un monde politique comme les autres mondes professionnels, et non pas le sanctuaire des vertus au milieu d’une société corrompue. Non, on n’allait pas trier les malades. Voilà. Ceci était d’autant plus étonnant que P.Pelloux alerte chaque année sur la saturation des urgences en hiver et pouvait donc difficilement être taxé de minimiser la situation.

Comme à chaque fois qu’une explication ne convient pas, on vient nous en fournir une autre. Le 30 mars 2021, Ludovic Toro (médecin et maire), sur Cnews, allait nous apprendre que l’intubation n’étant plus recommandée, il se trouvait en réanimation des personnes non intubées, sous oxygénothérapie, qui méritaient une surveillance accrue uniquement possible en réanimation, et, que les hospitalisés hors réanimations étaient placés en oxygénothérapie hors réanimations de manière dégradée mais que leur place était bien dans des services de réanimations où ils pourraient être correctement surveillés. C’est une explication qu’il aura donc fallu attendre depuis le 23 décembre jusqu’au 30 mars, ce qui est un peu long pour une chose qui était donc si claire. Il y a eu également un écho de cette explication dans 24h Pujadas puis elle a été abandonnée. C’est dommage car elle avait l’avantage d’être cohérente et donc acceptable y compris par les abrutis qui ne veulent décidemment qu’assassiner leur semblables en allant tout le temps pinailler sur des détails chiffrés qui n’ont d’autre importance que de justifier la destruction des libertés. Elle a certainement été abandonnée car elle a l’inconvénient de justifier le calcul de la saturation des réanimations non pas en divisant le nombre de personnes qui devraient y être par le nombre de lits qui s’y trouvent (5000), mais par le nombre de lits total de soin critiques dédiés à la surveillance renforcée (19 000). Ce n’est donc pas cette hypothèse qui a été retenue car elle n’arrange pas le gouvernement ni l’APH-HP, ni les opposants de l’AP-HP, ni personne finalement.

Les chiffres sont donc insuffisamment sûrs pour être pris en valeur absolue et permettre une décision. On  pourrait en analyser les tendances ou les rapporter à une capacité afin de leur donner un sens relatif, mais cette option n’est jamais retenue car elle ne sert pas la Cause. On a donc sorti du chapeau l’argument de l’âge moyen en réanimation qui baisse. Il n’y a même plus de chiffre, on dit simplement « l’âge moyen en réanimation baisse » et par simplification « les gens en réanimations sont de plus en plus jeunes ». Souvenez-vous de votre grand-oncle de 63 ans qui disait : « je ne me suis jamais senti aussi jeune ». Ce qui est formidable avec un tel argument c’est qu’il est vrai mais détaché de toute mesure chiffrée qui pourrait lui donner une appréciation objective. Quand la température baisse, il ne fait pas forcément froid, ça dépend pas mal de la température qu’il faisait avant et de l’amplitude de la chute. Et donc les calculs donnaient un âge moyen qui était passé de 65 ans à 63 ans. Mais les gens en réanimations sont de plus en plus jeunes, les gens en réanimations sont de plus en plus jeunes, les gens en réanimations sont de plus en plus jeunes, répétez s’il vous plait.

Nous sommes donc dans une société tout-à-fait transparente qui dispose chaque jour de tous les chiffres officiels, par régions, âges, sexes, des hospitalisations, des réanimations et des tests. Voilà une société dans laquelle tout est transparent mais dans laquelle seule une utilisation erronée des chiffres est permise alors même que tout le monde est informé qu’elle est erronée, dans laquelle des journaux papiers et des émissions télévisuelles font état de ce biais cognitif et n’en tirent absolument aucune conclusion dans leur traitement de l’information associée. Il n’y a là aucun complot, chacun va à son vice qui l’entraine.

La conclusion de l’autopsie est que les chiffres sont morts de maladie psychiatrique. Comme chacun sait la maladie psychiatrique est la véritable maladie que le covid aura révélée et malheureusement ceux qui en sont le plus atteints sans s’en rendre compte ont contaminés beaucoup de bien-portant qui n’auraient jamais été confrontés à une souffrance psychique sans ces contaminateurs décisionnaires. Pour revenir à la mort des chiffres, ils ont d’abord été atteints d’une névrose légère qui les a mis en doute par rapport à leur fonction existentielle : de compter juste. Puis en l’absence de traitement cela s’est dégradé, les chiffres ne comptaient plus juste mais ont quand même vécus comme s’ils comptaient juste, les chiffres ont donc dérivé jusqu’à un état psychotique de déréalisation complète. Ces chiffres psychotiques ont continué à délirer de plus en plus, de bouche en bouche, de ministres en Président, de conseil secret en allocution messianique. Puis, comme rappelés à l’ordre par leur nature cardinale, leur système immunitaire rationnel et cartésien s’est emballé et ils ont succombé. Inanimés maintenant et dans le domaine public, le ministère des Chiffres qu’est devenu le ministère de la santé peut donc s’en saisir pour dire n’importe quoi. Ils ne résistent plus, ils se plient mollement à toutes les justifications comme un journaliste devant un dictateur. La folie sanitaire aura tué jusqu’au plus rationnel des signes.