Une pandémie est supposée déferler en 2009 avec la grippe A H1N1. Les gouvernements du monde réagissent à l’excès mais les populations ne sont pas particulièrement inquiètes. Le Sénat français note dans son rapport de commission d’enquête l’existence d’une sorte de désir de pandémie : « Parallèlement à la mobilisation des Etats face au risque pandémique, beaucoup d’interlocuteurs de la commission d’enquête ont insisté sur les mécanismes ayant abouti à la préparation collective des esprits, et notamment de la communauté scientifique, à l’émergence d’un risque pandémique de type H5N1, tendant à transformer inconsciemment ce qui ne sont que des prédictions scientifiques en une sorte de « désir de pandémie » et qui a incité les experts à considérer ce qui n’apparaît aujourd’hui que comme le réassortiment d’un virus ancien, comme le facteur déclenchant de cette pandémie attendue. ».
Il n’y a rien de plus têtu que le désir. Ce désir était là dans l’imaginaire politique, scientifique et économique. Et aussi dans la réalité des laboratoires pharmaceutiques. Citons encore le rapport du Sénat de 2010 : « Au total, les représentants des laboratoires entendus par votre commission d’enquête ont fait état d’investissements compris entre 1,5 et 2,5 milliards d’euros, par laboratoire, ces dernières années au titre de leur préparation à une éventuelle pandémie. […] Ce fort investissement à tous les niveaux, aussi bien politique que scientifique, explique sans doute en partie que tous les acteurs intervenant dans la gestion des crises sanitaires attendaient cette menace et que dès l’annonce de l’apparition des premiers cas de grippe A (H1N1), il était difficile d’imaginer autre chose que l’émergence d’une pandémie. ».
Dix ans plus tard, les investissements et le désir général n’ont évidemment pas faiblis. Ils se sont nécessairement renforcés : quand vous avez construit un abri anti-atomique, vous avez intérêt à penser qu’il va vous être utile et même que vous pourriez l’utilisez pour autre chose si l’occasion se présentait. On lit aussi dans ce rapport qu’il faut éviter de se fier à des experts ayant des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique et si c’est inévitable de justifier d’un tel choix : « Que faire dans le cas où il est difficile de ne pas recourir à un expert qui a un conflit d’intérêts, puisqu’il est un des rares à être compétent dans une spécialité très étroite ? La HAS estime qu’il faut alors être en mesure de justifier son choix de faire appel à cet expert. Le meilleur moyen d’y parvenir est sans doute d’assurer la « traçabilité » des choix exercés et de les documenter, de démontrer que l’on a recours à un expert parce que le bénéfice de s’assurer de son concours l’emporte sur le risque de ne pas faire appel à lui. ». La nomination du conseil scientifique pour le covid n’a fait aucun cas de cette proposition. On a franchit le simple désir de pandémie pour aller dans le désir du désir de pandémie en nommant des experts du désir.
Pour la vaccination, tout est évidemment à l’identique de ce que nous voyons actuellement. Le rapport indique : « La vaccination ne figurait qu’en quatrième position dans la stratégie sanitaire de réponse à la pandémie définie par le plan national « Pandémie grippale », après l’organisation générale du système de soins, les mesures d’hygiène et de protection individuelle, le recours aux antiviraux et autres médicaments – et cette place était logique puisqu’elle ne pouvait être mise en œuvre immédiatement. Elle a cependant monopolisé l’attention et pris d’emblée une place prépondérante dans le débat sur la politique de lutte contre la pandémie et sur la perception publique de l’action gouvernementale.». La question des traitements est passé également en revue dans le rapport et on peut apprécier l’audition de Didier Raoult devant la commission d’enquête du sénat en 2010 qui disait peu ou prou déjà la même chose qu’aujourd’hui sur la corruption, les traitements, les vaccins et l’irrationalité. Tout ça devant des sénateurs interloqués.
Toujours, sur la vaccination et la pression des laboratoires, ce rapport du sénat de 2010 établissait que la gestion de Madame Bachelot avait été anormale en commandant immédiatement deux doses de vaccin en dépit de l’avis de l’OMS et en transférant à l’Etat la responsabilité en cas de produit défectueux. Pourtant en 2020, on a commandé des millions de vaccins, plus du double de vaccins que de personnes vivant en Union Européenne en incluant les enfants, et on a accepté le transfert de responsabilité vers l’Etat. On peut se demander si la réintégration de madame Bachelot dans le gouvernement en 2020, quand bien même ce serait au ministère de la culture, est l’aveu que son action de 2010 n’était finalement pas une erreur, ou plus gravement, que quand on reproduit les mêmes erreurs il convient de corriger le passé pour soutenir une cohérence. Modifier le passé est un jeu politique permanent des extrêmes gauche et droite, et visiblement un jeu affectionné également par M.Macron. Quand écrire l’histoire est un jeu politique et non plus un travail critique, une bascule idéologique s’opère. Elle est en cours.
Si on change la date de ce rapport du sénat, on retrouve toute la mécanique de ce qui se passe aujourd’hui, y compris le mépris des professionnels de santé qui était aussi dans ce rapport. On a donc réunis pour gérer le covid les mêmes ingrédients d’une gestion politique qui s’était avérée irrationnelle en 2010 : une nomination d’experts influencés par leur obsession de pandémie et des laboratoires intéressés, une focalisation illogique sur la vaccination, le mépris des professionnels de santé. Le rapport de la commission d’enquête du sénat de 2010 était ainsi intelligemment nommé : Retours sur « la première pandémie du XXIe siècle ». Il faut noter les guillemets qui sont justifiés par le rapport qui écarte complètement l’existence d’une pandémie. On peut rappeler que le Lancet dans un édito admirablement commenté par Barbara Stiegler, affirme que le covid n’est pas non plus une pandémie. Il faut noter aussi le mot « première ». Il était inévitable que cela allait recommencer, non pas la pandémie inexistante, mais la mécanique du désir de pandémie.
La répétition est à la fois le travail qui prépare une représentation finale, donc un mouvement vers l’avenir, et la réitération supposée similaire d’une chose étant déjà advenue donc un mouvement vers le passé. La gestion politique du covid est une répétition de celle de la grippe A H1N1, et la gestion politique de la grippe A H1N1 est une répétition de celle du covid. Ce désir de pandémie nommé dans le rapport de 2010 est complètement passé sous silence aujourd’hui. Il est connu et bien documenté mais il est bloqué dans le surmoi médiatique. Alors il se déploie à son aise sous sa forme inconsciente. Lacan dit dans Encore : « l’inconscient, ce n’est pas que l’être pense […], l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse, et, j’ajoute, ne veuille rien en savoir de plus. J’ajoute que cela veut dire – ne rien savoir du tout ». Voilà ce qu’est le désir de pandémie : la jouissance du scientifique, la jouissance du politique. Et comme vous le savez la jouissance de l’un a peu de cas pour l’Autre.
Au risque de frustrer tous les désirs de nos bons scientifiques, de nos bons journalistes, de nos bons politiques, il ne faut rien céder sur notre propre désir. Et ce désir-là n’est pas aux terrasses des cafés. Il est du vrai désir qui doit terrasser le monde.
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