La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires définit le Bien collectif comme la nécessité de mettre de côté notre liberté individuelle pour accéder à la protection sanitaire la plus étendue. Et cette Société des Vaccinés Heureux et Solidaires vous reproche vertement de ne pas jouer Collectif. Le fait est que vous n’avez pas du tout la même définition du Bien collectif. Pour la Société des Vaccinés Heureux et Solidaires le Bien collectif, c’est d’achever son objectif de protection sanitaire quand bien même une certaine quantité minoritaire d’individus en souffrirait d’une manière ou d’une autre. C’est une approche froide et numérique, éthiquement pauvre, qui n’est pas sans rappeler les mécanismes de justifications de l’esclavage, du capitalisme du XIXe ou des tranchées de Verdun. Par contre, pour vous, le Bien collectif, c’est qu’aucun ne soit négligé pour en satisfaire certains au-delà de leurs réels besoins : même si c’est une grande majorité d’entre eux qui serait satisfaite à s’en faire exploser la panse, aucun ne doit en souffrir à ce titre. Est-ce que les gens de la Société des Vaccinés Heureux et Solidaires pourraient se rallier à votre définition ?
Cette Société, si elle vient encore de temps en temps à discuter avec vous, ne se demande jamais si elle pourrait être des vôtres et regrette uniquement que vous ne soyez pas des leurs. Cette Société majoritaire est identifiable à ce qu’elle plébiscite un état d’urgence permanent, un passe sanitaire jusque dans les toilettes publiques si c’était possible et n’hésiterait pas à vacciner son enfant de 3 jours si on lui demandait. Pour cette Société, ces sujets du passe sanitaire et de la vaccination sont tombés dans le domaine du Patrimoine Commun des Vérités : le passe sanitaire est efficace et nécessaire, la vaccination est efficace et nécessaire, la liberté fondamentale appartient au gouvernement. Ils appliquent le passe sanitaire et la vaccination comme ils appliqueraient le théorème de Pythagore : sans se souvenir de sa démonstration, sans chercher à la comprendre, sans la mettre à l’épreuve d’une nouvelle géométrie. Pour cette Société, si vous être contre le passe sanitaire, vous êtes déjà un agent contre-collectif. Si vous n’avez pas fait vacciner vos adolescents, vous êtes un perturbateur. Si de surcroît vous n’êtes pas vous-même vacciné, vous êtes un danger public.
La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires n’est pas en manque d’idées, de ballons d’essai dans les médias sur le sort qu’on pourrait réserver aux non-vaccinés, aux anti-passes des Antilles, aux fraudeurs de passe sanitaire… La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires appellent ça des « incitations » bien que le Petit Robert ait pour cela des mots qui correspondent mieux à leurs idées : « menaces » ou « persécutions ». Ça sent fort les discours martiaux, ça sent fort la cruauté que les petits enfants ont un temps envers les bêtes. La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires devait faire partie de ces enfants qui arrachent les pattes aux mouches encore deux ans après que tous les autres enfants ont cessé de le faire parce que ce n’est plus marrant, que c’est inutile et cruel. Avant d’appliquer de nouvelles punitions, la Société des Vaccinés Heureux et Solidaires vous demande une dernière fois : voulez-vous en être ? La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires vous demande une dernière fois si vous voulez abandonner vos convictions avant qu’elle décide de nouvelles « Incitations » à votre encontre. Et là, vous êtes comme Stephen Dedalus, le personnage catholique de James Joyce, à qui son camarade demande s’il aurait l’intention de se convertir au protestantisme. À cette Société des Vaccinés Heureux et Solidaires qui voudrait vous convertir, vous répondriez comme lui : « J’ai dit que j’avais perdu la foi, mais pas que j’avais perdu mon amour-propre. Quel genre de délivrance ce serait que de répudier une absurdité logique et cohérente pour en embrasser une autre, illogique et incohérente ».
Car oui, quand même, il faut le reconnaître, votre position repose sur une absurdité : vous pensez que des hommes ayant le pouvoir vont finir par reconnaître les erreurs commises et réagir pour que chacun soit préservé au mieux dans ses libertés et sa santé. Votre raisonnement est totalement absurde car aucun homme de pouvoir n’agit jamais pour autre chose que l’intérêt des siens et sa propre gloire : vous ne faites pas contresens, vous êtes dans le non-sens absolu. En plus d’être absurde, vous êtes utopiste puisque jamais les sociétés humaines ne se sont comportées de manière à se soucier de chacun de ses membres pour restreindre le besoin avide de certains autres. Regardez même la tentative la plus connue, celle de Jésus de Nazareth, puis constatez l’état actuel du Vatican. Vous croyez donc en une absurdité. Par contre, prenant le postulat de cette absurdité originelle dans laquelle vous agissez, tout le reste de votre démarche est entièrement cohérente et logique. C’est ce qui fait votre force.
Vous êtes logique et cohérent sur les capacités hospitalières et le besoin de soin. S’il faut s’occuper du plus petit d’entre nous, il faut soigner les malades, il ne faut pas supprimer 5700 lits d’hôpitaux en pleine pandémie, il ne faut pas qu’un ministre de la santé fasse comme s’il ne savait pas que 5700 lits ont été supprimés, il faut tenir compte du fait que seulement 2% des hospitalisations étaient liées au Covid en 2020 et 5% en réanimation, selon l’ATIH, il faut se rappeler que la Cour des comptes s’est prononcée deux fois sur le fait que le taux d’occupation publié par Santé publique France était faux et trompeur, il faut tenir compte du fait que le ministre fait semblant de ne pas comprendre ce que l’ATIH et la Cour des comptes disent.
Vous êtes logique et cohérent sur le refus de la suspension infâme des soignants. Vous avez entendu ce 17 novembre 2021 le président du Conseil scientifique, M.Delfraissy, dire sur France Inter : « On s’est aperçu que ces vaccins protégeaient finalement assez peu ou mal contre l’infection et la transmission. Alors je sais que c’est difficile à comprendre pour le public. C’est difficile à comprendre pour les médecins. Parce que d’habitude un vaccin protège contre l’infection. » M.Delfraissy a du mal à comprendre parce que son absurdité à lui est illogique et incohérente : au nom d’un bien collectif qui lui profite en premier lieu, il est prêt à laisser contaminer des personnes hospitalisées par des soignants vaccinés infectés et contagieux, et mettre au ban de la société des soignants non vaccinés et testés négatifs. Pourquoi iriez-vous embrasser un tel raisonnement illogique, incohérent, dangereux et socialement abject ? Pourtant M.Delfraissy n’est pas prêt à vous rejoindre. Il préfère rester dans la Société des Vaccinés Heureux et Solidaires.
Vous êtes logique et cohérent sur l’appréhension des éventuels effets secondaires des vaccins. La Société des Vaccinés Heureux et Solidaires dans son approche du Bien collectif trouve que c’est normal que certains soient lésés physiquement ou meurent en petit nombre pour que d’autres vivent. Et partant, elle ne veut ni savoir ni qui ils sont, ni combien ils sont, ni de quoi ils souffrent. La seule information qui peut filtrer est : « Ils sont rares ». L’or est rare aussi mais on en trouve dans toutes les bijouteries de France. L’eau est rare mais il en coule à profusion quand on ouvre son robinet. Et pourquoi faudrait-il absolument que certains souffrent ? C’est une question cruciale. En quoi est-ce nécessaire ? Ne peut-on pas étudier les contre-indications plus avant ? Ne peut-on pas faire preuve de la prudence la plus grande dès qu’un pays suspend un vaccin pour les plus jeunes, au lieu d’attendre 30 jours pour vérifier par nous-mêmes si la science produite par les Suédois est moins bonne que la science française ? À quel titre est-il devenu logique et cohérent de regarder le bénéfice-risque à l’échelle d’une population et non pas individuellement ?
En vérité, la belle idée de Collectif que l’on vous vend ici en permanence, c’est naufrage de la Méduse. Pour sauver tout le monde du naufrage de la Méduse alors que l’on n’a pas assez de canots, on met une moitié de personnes dans les canots qui seront chargées de remorquer un immense radeau de fortune avec près de 150 hommes de moins d’importance. Le collectif se distend un peu car, hasard ou manœuvre, les attaches de remorquage cèdent et libèrent les canots d’un bien lourd fardeau. Mais rassurez-vous, les passagers de ces canots étaient Collectifs dans l’intention initiale de remorquer le radeau, tout aussi Collectifs que des ministres et un Président qui jurent qu’ils ont l’intention absolue de tout faire pour sauver la population mais finalement ferment les lits d’hôpitaux en pleine crise : c’est l’intention qui compte. Sur le radeau, les sous-fifres ont le corps dans l’eau jour et nuit jusqu’à la ceinture tandis que les officiers sont surélevés au centre et ont gardé les armes et les vivres. Mais tout cela reste bien dans un esprit Collectif : ils sont bien sur le même radeau. Voyez c’est le même esprit Collectif que celui de deux hommes politiques comme M.Estrosi et M.Muselier qui sont d’accord pour que tout le monde soit soigné avec un doliprane mais qui n’hésitent pas à se réserver pour eux-mêmes d’aller se soigner dans un certain IHU controversé : les problèmes sont Collectifs et seules les solutions sont soumises à privilèges. Et puis, une rébellion survient sur le radeau. Heureusement que les officiers qui avaient les armes ont joué Collectif en tuant tous ces rebelles qui avaient faim et mettaient en péril la communauté. Environ la moitié des occupants du radeau sont liquidés. C’est un peu comme de suspendre des soignants : il faut se débarrasser de ceux qui ont perdu le sens du Collectif pour sauver le Collectif. Sur ce radeau, il y avait un « conseil de guerre » qui a décidé de jeter les plus faibles à la mer. Ne vous méprenez pas, c’était encore une décision faite dans l’intérêt Collectif. Pensez donc ils étaient trop faibles et on n’en était déjà réduit à manger les cadavres. On ne pouvait pas handicaper le radeau avec eux. C’est un peu comme si un Conseil de défense disait que les hôpitaux risquent d’être saturés, qu’on ne peut pas y accueillir les personnes âgées et qu’on les laisserait donc mourir seules dans leur EHPAD : on achèverait quelques vieux dans l’intérêt Collectif, pour laisser théoriquement la place à l’hôpital pour des gens moins âgés qui n’ont pas besoin d’aller à l’hôpital. À la fin de l’histoire du radeau de la Méduse, il reste 15 personnes dont 5 vont mourir de faiblesse. Au terme de toutes ces actions de préservation du Bien collectif, on doit conclure que les 10 personnes qui restent étaient 10 personnes éminemment collectives.
Il est temps de réviser ce que signifie le Collectif et le Bien Collectif et comment œuvrer pour eux. Et il vaut mieux votre postulat absurde dont on peut tirer logiquement tant d’actions cohérentes pour que chacun ait le moins à souffrir, que l’absurdité illogique et incohérente de la Société des Vaccinés Heureux et Solidaires, qui est un affreux naufrage de la raison et de la pensée, un naufrage de corps qui s’abîment ou sont abîmés, un naufrage de la fraternité sociale et politique. Cette notion du Collectif qui s’affiche sur les écrans et dans toutes les bouches aujourd’hui a étrangement la même odeur que celle qui dans les siècles précédents avait préludé aux massacres.
« Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant »
Baudelaire, Le Voyage.